."Ce qui nous parle, me semble-t-il, c'est toujours l'événement, l'insolite, l'extra-ordinaire : cinq colonnes à la une, grosses manchettes. Les trains ne se mettent à exister que lorsqu'ils déraillent, et plus il y a de voyageurs morts, plus les trains existent; les avions n'accèdent à l'existence que lorsqu'ils sont détournés; les voitures ont pour unique destin de percuter les platanes: cinquante-deux week-ends par an, cinquante-deux bilans: tant de morts et tant mieux pour l'information si les chiffres ne cessent d'augmenter ! Il faut qu'il y ait derrière l'événement un scandale, une fissure, un danger, comme si la vie ne devait se révéler qu'à travers le spectaculaire, comme si le parlant, le significatif était toujours anormal: cataclysmes naturels ou bouleversements historiques, conflits sociaux, scandales politiques..."
Georges Perec, l'infra-ordinaire

Horizon Gull : La france a peur
https://www.youtube.com/watch?v=8WiiqssAME4

"On pleure devant les infos, on en redemande comme des nymphos."
Disiz


Notes :
Caractére anxiogène des gros titres (registres créant la peur)
Intégrer une part d'informatif (sur la base de l'invention de la violence) en plus de l'aspect humoristique permis par le brassage de gros titres selon une méthode oulipienne.
Possible parallèle ironique entre l'accélération dans l'usage de la tablette (dans les transports par exemple, pour combler quelques minutes d'ennui) et notre picorage d'infos qui est une consommation d'infos (dont nous n'interrogeons ni la provenance ni les filtres ni la raison d'être = rapport opportuniste à l'information et grossiereté de celle-ci, jouant toujours sur les mêmes termes et thèmes pour nous donner l'illusion d'être renseigné et nous arracher quelques frissons) = spectacle, divertissement, et fin mélange extrème futilité et drame pétrifiant.
Démonstration du fait que tout est fait pour marquer les esprits, appitoyer, indigner = démagogie et manipulation de nos émotions (dans l'agencement des infos, leur sélection, le ton employé, les termes)...

L’essai «Les nouveaux chiens de garde» de Serge Halimi nous livre sur ce sujet et après une étude sur la télévision et les grands journaux français, son analyse de ce qu’il considère comme une collusion entre pouvoirs médiatique, politique et économique.
Il prétend aussi démonter le traitement parfois partial et complaisant de certains médias français vis-à-vis des sociétés qui en sont les actionnaires, et explique aussi le peu de cas qui est selon lui fait des mouvements sociaux, et la place prépondérante des faits divers dans les journaux télévisés. Il reprend la thèse selon laquelle « le fait divers fait diversion », selon la formule de Pierre Bourdieu, qui a préfacé ce livre.
Dans son dernier chapitre, il souligne les connivences dans le milieu journalistique, facilitant les auto-promotions. Quoi qu’il en soit et sans même parler de corruption directe, d’arrivisme ou de malhonnêteté foncière, il suffit d’analyser un journal télévisé pour réaliser que tout y est savamment orchestré afin d’aiguiller nos impressions. L’information y semble broyée et donnée en bouillis méconnaissable à nos yeux affamés d’images, car en effet les médias jouent peu sur notre volonté réelle de comprendre le monde qui nous entoure mais d’avantage - par le biais des faits divers notamment - sur une curiosité malsaine doublée d’un effet de paranoïa qui facilite la manipulation de masse.
Georges Perec nous parle dans son texte «l’Infra-Ordinaire» de ce goût que nous avons pour le glauque, qui est bien loin de la compassion réelle et de la prise de conscience auxquelles les médias pourraient servir.
C’est aussi un thème que reprend le tout récent film «Night call» de Dan Gilroy, en caricaturant le lien intéressé, inhumain et morbide que les journaux télévisés entretiennent avec les catastrophes et la criminalité pour faire monter l’Audimat.
Une fois encore, sans en arriver jusqu’à de telles conclusions sur l’intention de la majorité des journalistes, on ne peut nier que les médias les plus populaires pré-machent pour nous l’information et la distordent à l’extrême - par le seul choix de sur-médiatiser certains aspects de l’actualité et d’en passer d’autres sous silence, ou par la manière de faire se côtoyer les informations entre elles, ou encore de les imbriquer à la publicité.
Les impressions que nous devons avoir sont donc établies à l’avance et tout est conçu, organisé, pour les favoriser, de manière à ce que la conclusion même de nos pensées se dessine en filigrane derrière la trame des Informations.
Il va donc sans dire que ce phénomène concourt à l'uniformisation des ressentis et à l’orientation forcenée dans un seul sens de lecture.
Alors que les informations ont la prétention de nous être livrées sans apprêts ni filtres elles sont en réalité gratinées de bons sentiments qui font référence à des valeurs censées être communes aux citoyens de notre pays, alors qu’elles ne sont plus celles de personne ou que personne ne s’interroge sur leur sens, et - qu’il s’agisse d’une conséquence volontaire ou involontaire... - les messages de haine passent finalement avec une facilité tout autre que les messages de paix...

Ci-dessous, extrait de "L'invention de la violence", de Laurent Mucchielli